Titre : |
Le pays du lieutenant Schreiber : le roman d'une vie |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Andreï Makine, Auteur |
Editeur : |
Paris : B. Grasset, 2013 |
Description : |
1 vol. (216 p.) |
Format : |
21 cm |
ISBN/ISSN : |
978-2-246-81037-7 |
Prix : |
17 EUR |
Langues : |
Français (fre) |
Index. décimale : |
840 Littérature française et francophone |
Résumé : |
Il s'appuie sur les accoudoirs de son fauteuil, les serre avec force, commence à se redresser, dans une élévation lente, un arrachement graduel à la pesanteur. L'expression de ses yeux trahit une pointe de dépit : ah, ce corps qui n'obéit plus avec la vivacité d'autrefois.
Ce soir, trop ému, j'ai dû sans doute monter l'escalier plus vite que d'habitude et c'est ainsi qu'à présent, je le surprends dans cet effort entravé.
Les fois précédentes, il m'avait accueilli, debout, au milieu de son salon - une silhouette incroyablement svelte pour son âge, un sourire bref, fait pour saluer un ami, non pour jouer aux mondanités. Une poignée de main ferme, sèche. Son physique rendrait d'ailleurs difficile la comédie mondaine : un visage carré, des cheveux blancs en brosse, un crâne en facettes de silex, la ligne dure du nez, un air de parenté avec Kirk Douglas, dans Spartacus...
Je m'attarde dans l'entrée pour lui laisser le temps de se lever, de quitter son bureau, de venir au salon. Le voir lutter contre le fardeau de son corps me fait mal. D m'est facile de trouver une justification à la lenteur de ses mouvements. Oui, l'âge : quatre-vingt-douze ans ! Et cet accident cardiaque qui, il y a quelques mois, lui a valu un séjour au Val-de-Grâce. Mais surtout, nous sommes en août, la chaleur parisienne, un temps lourd, sans un souffle.
Ces explications ne disent qu'une part de la vérité. La douleur que j'éprouve en regardant le vieil homme se redresser a une autre raison.
Aujourd'hui, je lui apporte une bien mauvaise nouvelle.
C'est la crainte de le blesser qui me plonge dans un temps ralenti où chaque geste semble durer de longues minutes - le moment où le canevas de sa vie défile dans ma pensée.
... Jeune officier, la bataille de France, mai-juin 1940,4e régiment de cuirassiers, Belgique, Flandres, Dunkerque, duels de chars, résistance désespérée mais tenace, mort de camarades, missions dans les lignes allemandes, nouveaux combats - dans l'Eure, première blessure, renvoyé de l'armée, car juif, fuite en Espagne, prison, camp de concentration, Maroc, Algérie, 5e régiment de chasseurs d'Afrique de la Ier DB, débarquement dans le Midi, libération de la France, victoire fêtée dans les montagnes de Bavière, non loin du Berghof, le «nid d'aigle» d'Hitler...
C'est ce même soldat, ce même homme qui est en train de se relever, à présent, de son fauteuil. Un soir d'août, 2010.
Et c'est à lui que je vais devoir annoncer cette nouvelle : sa vie n'intéresse plus personne ! Sa guerre n'éveille aucun souvenir, ses camarades tombés au champ d'honneur sont effacés de toutes les mémoires, lui-même n'est plus que ce vieillard qui, péniblement, se remet debout.
Le lieutenant Schreiber.
Le livre qu'il a consacré à sa jeunesse a été édité en mai, il y a trois mois. Délai fatal au bout duquel toute publication, faute de succès, disparaît des librairies. Depuis la sortie de son récit, nous avons guetté le moindre écho, un compte-rendu, une interview, un entrefilet... Rien. Nulle part. Aucun article dans l'un des journaux «de référence», pas un signe d'intérêt sur les ondes ou sur les écrans. |
Nature du document : |
fiction |
Genre : |
roman historique |
Niveau : |
lycée |
Le pays du lieutenant Schreiber : le roman d'une vie [texte imprimé] / Andreï Makine, Auteur . - Paris : B. Grasset, 2013 . - 1 vol. (216 p.) ; 21 cm. ISBN : 978-2-246-81037-7 : 17 EUR Langues : Français ( fre)
Index. décimale : |
840 Littérature française et francophone |
Résumé : |
Il s'appuie sur les accoudoirs de son fauteuil, les serre avec force, commence à se redresser, dans une élévation lente, un arrachement graduel à la pesanteur. L'expression de ses yeux trahit une pointe de dépit : ah, ce corps qui n'obéit plus avec la vivacité d'autrefois.
Ce soir, trop ému, j'ai dû sans doute monter l'escalier plus vite que d'habitude et c'est ainsi qu'à présent, je le surprends dans cet effort entravé.
Les fois précédentes, il m'avait accueilli, debout, au milieu de son salon - une silhouette incroyablement svelte pour son âge, un sourire bref, fait pour saluer un ami, non pour jouer aux mondanités. Une poignée de main ferme, sèche. Son physique rendrait d'ailleurs difficile la comédie mondaine : un visage carré, des cheveux blancs en brosse, un crâne en facettes de silex, la ligne dure du nez, un air de parenté avec Kirk Douglas, dans Spartacus...
Je m'attarde dans l'entrée pour lui laisser le temps de se lever, de quitter son bureau, de venir au salon. Le voir lutter contre le fardeau de son corps me fait mal. D m'est facile de trouver une justification à la lenteur de ses mouvements. Oui, l'âge : quatre-vingt-douze ans ! Et cet accident cardiaque qui, il y a quelques mois, lui a valu un séjour au Val-de-Grâce. Mais surtout, nous sommes en août, la chaleur parisienne, un temps lourd, sans un souffle.
Ces explications ne disent qu'une part de la vérité. La douleur que j'éprouve en regardant le vieil homme se redresser a une autre raison.
Aujourd'hui, je lui apporte une bien mauvaise nouvelle.
C'est la crainte de le blesser qui me plonge dans un temps ralenti où chaque geste semble durer de longues minutes - le moment où le canevas de sa vie défile dans ma pensée.
... Jeune officier, la bataille de France, mai-juin 1940,4e régiment de cuirassiers, Belgique, Flandres, Dunkerque, duels de chars, résistance désespérée mais tenace, mort de camarades, missions dans les lignes allemandes, nouveaux combats - dans l'Eure, première blessure, renvoyé de l'armée, car juif, fuite en Espagne, prison, camp de concentration, Maroc, Algérie, 5e régiment de chasseurs d'Afrique de la Ier DB, débarquement dans le Midi, libération de la France, victoire fêtée dans les montagnes de Bavière, non loin du Berghof, le «nid d'aigle» d'Hitler...
C'est ce même soldat, ce même homme qui est en train de se relever, à présent, de son fauteuil. Un soir d'août, 2010.
Et c'est à lui que je vais devoir annoncer cette nouvelle : sa vie n'intéresse plus personne ! Sa guerre n'éveille aucun souvenir, ses camarades tombés au champ d'honneur sont effacés de toutes les mémoires, lui-même n'est plus que ce vieillard qui, péniblement, se remet debout.
Le lieutenant Schreiber.
Le livre qu'il a consacré à sa jeunesse a été édité en mai, il y a trois mois. Délai fatal au bout duquel toute publication, faute de succès, disparaît des librairies. Depuis la sortie de son récit, nous avons guetté le moindre écho, un compte-rendu, une interview, un entrefilet... Rien. Nulle part. Aucun article dans l'un des journaux «de référence», pas un signe d'intérêt sur les ondes ou sur les écrans. |
Nature du document : |
fiction |
Genre : |
roman historique |
Niveau : |
lycée |
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